Dialogues : La science, çà sert quoi ?

Ces dialogues sont tirés d’un livre que j’ai publié en 2015 aux PUG, Pour des humanités contemporaines. Science, technique, culture, quelles médiations. Chacun des dialogues introduisait un chapitre qui développe le thème du dialogue. .

Ce livre avait fait l’objet d’une préface de Philippe Meirieu qui, notons-le, vient d’être élu président des CEMEA

1. Vérité et espérance

Monsieur Tyin, gonflant le torse, avec un soupçon de fierté.

— Savez-vous, Monsieur Tyan, qu’aujourd’hui, la Science peut apporter une réponse à pratiquement toutes les questions qui conditionnent votre vie.
Monsieur Tyan
— Toutes vraiment ?
Monsieur Tyin
— Oui, Toutes. Pratiquement.
Monsieur Tyan, qui pâlit.
— Alors, la Science peut m’indiquer la date de ma mort?
Monsieur Tyin
— Sans aucun doute. Elle peut le faire.
Monsieur Tyan
— À qui m’adresser ?
Monsieur Tyin
— En quelle année êtes-vous né ?
Monsieur Tyan
— Ce n’est pas du jeu. C’est moi qui pose les questions.
Monsieur Tyin
— Oui, mais la Science, pour répondre, doit partir de faits précis.
Monsieur Tyan
— Oui, d’accord. Mais qui choisit les faits à examiner?
Monsieur Tyin
— Mais enfin, Monsieur Tyan, soyons sérieux. La Science, bien sûr, la Science. C’est elle qui détermine les faits dont elle s’occupe. Comme dirait l’autre, « la science fait les faits». Mais nous ne sommes pas là pour philosopher. Donc, quand êtes-vous né ?
Monsieur Tyan
— Précisément, je suis né le 27 juin 1958
Monsieur Tyin
— Alors, c’est très simple, Monsieur Tyan, vous allez mourir entre, entre… (Il réfléchit). Ah voilà, j’y suis. Entre aujourd’hui, et le 20 novembre 2050.

Astrologie ou astronomie ? 


Monsieur Tyan, qui blêmit
— Entre aujourd’hui et… C’est sûr ?
Monsieur Tyin
— Pratiquement certain, d’un point de vue scientifique : statistique. Sauf si la médecine, qui n’est pas une science mais un art, fait de tels progrès qu’elle arrive à maintenir en vie les êtres humains au-delà de 120 ans.
Monsieur Tyan
— Dites donc, vous n’êtes pas rassurant, et puis ça n’est pas très précis.
Monsieur Tyin
— Pas très précis, vous trouvez ? Par rapport à l’âge de la vie sur terre, la marge d’erreur est infinitésimale. Et, pour ce qui est de vous rassurer, ce n’est pas le problème de la science.
Monsieur Tyan
— C’est sûr?
Monsieur Tyin
— Qu’est-ce qui est sûr ? Que le problème de la science n’est pas de vous rassurer ?
Monsieur Tyan
— Non. Que je peux disparaître entre demain et le, le… Le combien avez-vous dit, Monsieur Tyin ?
Monsieur Tyin
— Le 20 novembre 2050.
Monsieur Tyan
— C’est loin 2050.
Monsieur Tyin
— Vous voyez, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Y a-t-il autre chose qui vous intéresse et que vous voulez demander à la Science ?

Monsieur Tyan lui tourne le dos en haussant les épaules et s’en va.

2. Sortir des ténèbres

Le savoir des anciens


Monsieur Tyin
– Vous rendez-vous compte, Monsieur Tyan, combien nous sommes différents des générations qui nous ont précédés. Quel progrès de l’esprit humain, tout de même !

Monsieur Tyan 
– Différents ? Pas tant que çà. J’ai vu un DVD, Spartacus, vous savez sur
la révolte des esclaves, à Rome. Et bien, je peux vous dire que question intelligence, ils n’avaient rien à nous envier.

Monsieur Tyin
– Qu’est-ce que vous racontez ? Vous ne pouvez tout de même pas comparer l’ignorance des anciens avec les connaissances des modernes. 

Mr Tyan
— Mais alors qui sauvera le monde, si ce ne sont pas ceux qui le connaissent ? Les philosophes ? 
Mr Tyin
— Allons, ne parlez pas de malheur. Les philosophes sont des rêveurs, ils ont autre chose à faire que de jouer les Saint-Bernard. Ils philosophent, cela leur suffit et c’est bien assez. 
Mr Tyan
— Alors qui ? Et qu’est-ce que je vais dire à mon fils, moi ? Lui, ce qui l’intéresse, c’est de faire de la recherche pour sauver le monde. 
Mr Tyin
— Eh bien dites-lui de changer d’idée plutôt que de vouloir changer le monde. Ou alors qu’il s’engage dans l’humanitaire. Sauver le monde, comme s’il avait besoin d’être sauvé. 
Mr Tyan
— Alors comme ça, vous ne croyez pas au réchauffement climatique, à la mort de la forêt amazonienne, à la disparition des espèces rares, aux pandémies ?
Mr Tyin
— J’y crois, j’y crois… Mais ça a toujours existé. Laissez les savants tranquilles. Parlez-en aux hommes politiques, c’est leur travail. 
Mr Tyan
— Oui, mais eux, ils demandent aux savants ce qu’il faut faire. On tourne en rond. 
Mr Tyin
— Rien de grave à cela. Rien ne change, vous le voyez bien. Le monde continue de tourner quand même.
Mr Tyin s’en va)
— Oui. Oui… Mais qu’est-ce que je vais répondre à mon fils, moi

3. C’est la guerre!

Mr Tyin
— Dites ! Vous avez vu la castagne
Mr Tyan
— Où çà ? Dans la rue ?
Mr Tyin
— Non dans la presse.
Mr Tyan
— Laquelle ?
Mr Tyin
— Dans des revues sérieuses et sur Internet.
Mr Tyan
— Mais je croyais que la Toile était un lieu de rencontre et de convivialité.
Mr Tyin
— Moi aussi. Vous voyez, il nous arrive d’être d’accord.
Mr Tyan
— Ils se castagnent comment ?
Mr Tyin
— Ils s’envoient des noms d’oiseaux.
Mr Tyan
— Lesquels ?
Mr Tyin
— Je n’ose pas vous les répéter : incompétent, ignorant, sectaire, métaphysicien… Et même scientiste. Vous voyez le genre.
Mr Tyan
— Mais à quel propos ?
Mr Tyin
— À propos de sciences.
Mr Tyan
— Ah oui. L’énergie atomique, le Big bang, les trous noirs, tout ça… Je comprends, ce n’est pas simple…
Mr Tyin
— Mais non, vous n’y êtes pas. À propos de métaphore.
Mr Tyan
— De métaphore ? Alors ce n’est pas grave. Il n’y pas mort d’homme.
Mr Tyin
— Non. Mais il y a péril en la demeure Les sociologues ne s’entendent plus avec les philosophes. Mais ils se mettent d’accord pour critiquer les physiciens qui ne veulent pas qu’on vienne fouiller dans leurs laboratoires. Alors évidemment, ces derniers recherchent l’alliance avec les chimistes et les biologistes.
Mr Tyan
— On les comprend. On ne peut pas y laisser entrer n’importe qui. Et puis, dites, quand même, c’est privé les laboratoires : on y fait des analyses.
Mr Tyin
— Enfin, y a des laboratoires qui reçoivent un peu d’argent pour faire des recherches qui intéressent tout le monde.
Mr Tyan
— Oui, les laboratoires, c’est sérieux. Si au prétexte que ça intéresse tout le monde, tout le monde vient y mettre son grain de sel, il risque d’y avoir du grabuge. Alors c’est la guerre ?
Mr Tyin
— C’est la guerre. Encore heureux qu’ils n’utilisent pas les armes que la science permet de produire.
Mr Tyan
— Mais dites-moi, qui est contre qui ?
Mr Tyin
— Allez savoir. Ce ne sont pas des gens simples, les chercheurs.
Mr Tyan
— Là encore une fois, je suis d’accord avec vous. Je connais un sociologue. Il fait des enquêtes toute la journée. Il interroge les gens pour des statistiques. Et bien à la fin de la journée, il ne veut plus voir personne. Il ne supporte plus les gens. C’est grave pour un sociologue.
Mr Tyin
— Moi, c’est pareil.
Mr Tyan
— Quoi c’est pareil ? Vous n’aimez pas les gens ?
Mr Tyin
— Non, ce qui est pareil, c’est que je connais un philosophe. Si vous saviez, il n’est d’accord avec personne. Il dit que les hommes sont stupides. Il ne veut plus avoir affaire à eux. C’est grave pour un philosophe.
Mr Tyan
— Pas étonnant alors qu’ils se fassent la guerre.
Mr Tyin
— Non, mais là, vous n’y êtes pas : sociologue, philosophe et compagnie, ce ne sont pas vraiment des scientifiques.
Mr Tyan
— Si vous leur dites ça : ce sera la guerre.
Mr Tyin
— C’est ce que je me tue à vous dire. Les physiciens le leur ont dit. Et bien, ça été la guerre.
Mr Tyan
— Cela ne m’étonne pas.
Mr Tyin
— Alors vous, c’est bien simple : rien ne vous étonne. On ne peut pas dire que vous ayez l’esprit scientifique.
Mr Tyan
— Dites, si vous me cherchez, je vous préviens, ça va être la guerre.

4. Vous-y croyez-vous à cette histoire de virus ?

On fait avec ce que l’on a



Monsieur Tyan , il manque de heurter monsieur Tyin
— Ah Monsieur Tyin, je ne vous avais pas reconnu ; vous m’avez fait peur avec votre truc sur la bouche. Vous avez l’air d’un vrai chinois !
Monsieur Tyin
— Ne rigolez pas avec ça, Monsieur Tyan. Nous sommes en guerre !
Monsieur Tyan  
— En guerre ? Avec les chinois ?
Monsieur Tyin
— Mais non, pas avec les chinois Ils n’y sont pour rien. C’est eux qui ont été attaqués en premier. 
Monsieur Tyan  
— Mais je croyais que…
Monsieur Tyin
— Il ne faut pas croire. Il faut savoir.
Monsieur Tyan
— Quoi ?
Monsieur Tyin
— Ça dépend de ce qui vous intéresse.
Monsieur Tyan  
— Ce qui m’intéresse, c’est de savoir pourquoi vous portez ce masque ? On n’est pas en période de carnaval !
Monsieur Tyin
— Vous faites pas plus idiot que vous ne l’êtes, Monsieur Tyan. A cause des virus. 
Monsieur Tyan  
— Vous savez, y en a tellement. J’ai entendu dire qu’il y en avait plusieurs millions par m2, au-dessus de nos têtes. Je n’ose plus regarder en l’air
Monsieur Tyin
— Vous feriez mieux de regarder la télé. Vous n’avez pas entendu que le Président leur a déclaré la guerre ?
Monsieur Tyan  
— À qui ? à tous ?
Monsieur Tyin
— Non, ils sont trop nombreux. Aux plus nuisibles.
Monsieur Tyan
— Ah oui, Les virus chinois, On ne parle que d’eux. Surtout M’sieur Trump
Monsieur Tyin
— Décidément vous êtes incorrigibles. M’sieur Trump, comme vous dites, qui est loin d’être un imbécile, n’est ni un savant ni un chercheur. C’est un politique.
Monsieur Tyan
— Alors comme ça, c’est lui qui a déclaré la guerre. Ça m’étonne pas, ce type a caractère de guerrier, vrai dur : cowboy, si vous voyez ce que je veux dire;
Monsieur Tyin
— Vous n’êtes pas dans le coup. Trump ne supporte pas qu’on dise du mal de l’Amérique. Le reste y s’en fout ; il ne se mêle plus de rien. C’est notre président qui a déclaré la guerre.
Monsieur Tyan
— Mais pourquoi ? C’est idiot. C’est les virus qui ont attaqué les premiers. J’ai toujours pensé que ce genre de chose, qu’on ne voit pas, qui, arrive dont on ne sait où et quj repart sans prévenir, ne faisait pas partie de la nature. Cela ne sert à rien de leur déclarer la guerre. Ils s’en foutent. Mieux vaut les éviter.
Monsieur Tyin
— C’est ce que je fais en portant un masque. Vous devriez faire comme moi. 
Monsieur Tyan
— Vous croyez ?

Monsieur Tyin ne répond pas et s’en va en haussant les épaules.

Un erreur de non-spécialisiste
L’élu pédagogue
Une spécicialiste, muséifiée

5. Et avant le Big Band, qu’est-ce qu’il y avait

Mr Tyan — Expliquez moi Monsieur Tyin.  Qu’est-ce que c’est que le Trou noir.  Et le Big bang ? Je ne sais pas comment le voir ni comment l’entendre.

Mr Tyin — Vous ne pouvez comprendre : vous n’êtes pas physicien.

Mr Tyan  — Mais puisque les physiciens utilisent des mots de tous les jours, il devrait être possible d’expliquer avec ces mêmes mots les idées qu’ils ont dans la tête.

Mr Tyin   — Peut-être. Je vais vous expliquer : ces expressions sont d’abord des images mentales. Il s’agit juste de nous faire sentir qu’avant il n’y avait rien et qu’après cet avant, la matière s’est mise en expansion. Vous comprenez. 

  Mr Tyan — Cela s’éclaire, si je peux dire. Vous voyez quand vous voulez, vous arrivez à m’expliquer. 

Mr Tyin — Mais oui, c’est clair, la science. Il suffit de connaître. 

Mr Tyan — C’est vrai. Mais il y a quand même un hic. Avant le Big bang, pendant le trou noir, qu’est-ce qu’il y avait. 

Mr Tyin — Mais je viens de vous le dire: Rien. 

Mr Tyan  — Rien. Comment Rien ? J’ai vu une pièce de Shakespeare avec un vieux fou qui est un vrai roi et un vrai fou qui n’est pas roi. Le Roi dit à son fou : « De rien, il ne peut rien sortir ».

Mr Tyin — Et alors ? 

Mr Tyan —  Et bien si la science n’est pas plus avancée que ce vieux fou, qui va pouvoir me dire ce qu’il y avait avant et ce qu’il y aura après ? 

Mr Tyin — Certainement pas la science. Ce n’est pas son rôle. 

Mr Tyan — Vous me répondez toujours la même chose lorsque vous ne savez pas quoi répondre sur la science. 

Mr Tyin—Évidemment, la science ce n’est ni la métaphysique ni la religion. 

Mr Tyan — Vous n’y croyez pas ? 

Mr Tyin  — À quoi ? 

Mr Tya—  Et bien à la métaphysique et à la religion. 

Mr Tyni —  Ce n’est pas la question. 

Mr Tyan — Alors quelle est la question ? J’ai vu une pièce de Shakespeare où…

Mr Tyin l’interrompt et s’en va en grommelant —  Vous allez m’ennuyer longtemps avec vos questions. Demandez donc à Shakespeare et laissez les savants travailler à des choses sérieuses. 

6. Le dur et le mou

Mr Tyan —Vous connaissez ma cousine, mademoiselle Yian. Elle ne va pas bien, elle ne sait plus où elle en est : elle a perdu le Nord. Je lui ai conseillé d’aller voir un auriculothérapeute. 

Mr Tyin — Vous avez bien fait. La médecine a prouvé que les troubles de l’équilibre provenaient souvent de l’oreille interne. 

Mr Tyan — Vous n’y êtes pas. Il ne s’agit pas d’équilibre. Elle ne se sent pas bien dans sa peau. Son auriculothérapeute a établi son diagnostic à partir de la configuration des lobes de l’oreille. 

Mr Tyin — Vous ne devriez pas croire à de pareilles billevesées. Au XXIe siècle ! Et pourquoi nepas lire le futur dans le vol des oiseaux ou le marc de café. 

Mr Tyan —Et bien justement. Elle est allé voir une cartomancienne 

Mr Tyin — Et pourquoi pas un gourou indien ? Elle verrait du pays et çà lui changerait les idées. Et alors, qu’est-ce qu’elle lui a dit votre cartomancienne

Mr Tyan —  Vous n’écoutez rien. Ce n’est pas ma cartomancienne, c’est la sienne. Ma cartomancienne à moi, elle m’a dit que les cartes, c’est trop primaire. Elle préfère lire les lignes de la main. 

Mr Tyin — Quand est-ce que vous accepterez de vivre avec votre temps ? On n’est plus au Moyen-Âge. Tout ce qui nous arrive n’est plus inscrit dans les lignes de la main, mais dans les gènes. C’est du solide. Cela s’efface moins et se transmet mieux. 

Mr Tyan — Je vais vous donner mon avis, moi qui ne suis ni auriculothérapeute, ni gourou et je ne joue pas aux cartes, pas même à la bataille. Elle ne va pas bien parce que personne ne s’intéresse à elle. Même pas la science.

Mr Tyin  Est-ce qu’au moins, elle s’intéresse à la science, elle ?

Mr Tyan — Comme tout le monde, je crois. Avant, elle regardait la télé. Vous savez les frères, les jumeaux, avec un nom marrant mais imprononçable.

Mr Tyin —Non, je ne vois pas. 

Mr Tya — Vous ne vous intéressez donc pas à la science ? 

Mr Tyin — Si, mais pas à la télé. Il ne faut pas tout confondre. Si vous voulez mon avis, ou plutôt celui de la science ? 

Mr Tyan —  À quel propos ? 

Mr Tyin  —Et bien à propos de votre cousine. Je crois que son dérangement, enfin son mal-être, vient de son cerveau. 

Mr Tyan —  Mais ça va pas ! Elle n’est pas folle. 

Mr Tyin — Ne vous échauffez pas. Je ne dis pas qu’elle est folle. Des neuroscientifiques nous affirment seulement que le cerveau de la femme est moins rationnel, plus plastique que celui de l’homme. Je ne veux pas vous parlez de choses intimes. Mais vous le savez bien, la femme est plus influençable, plus sensible : c’est une question d’humeur. Avant, au Moyen-âge, on parlait d’humeurs humides ou de possession. Maintenant la science sait qu’il s’agit de configuration des lobes du cerveau. Pardonnez-moi d’avoir été un peu long, mais je voulais être précis. 

Mr Tyan —Merci. Je vais le lui dire. Je pense que cela va rassurer.

7. C’est la guerre !

Mr Tyin —Dites ! Vous avez vu la castagne

Mr Tyan  — Où çà ? Dans la rue ?

Mr Tyin —Non dans la presse.

Mr Tyan —Laquelle ?

Mr Tyin —Dans des revues sérieuses et sur Internet.

Mr Tyan — Mais je croyais que la Toile était un lieu de rencontre et de convivialité. 

Mr Tyin  —Moi aussi. Vous voyez, il nous arrive d’être d’accord.

Mr Tyan —Ils se castagnent comment ?

Mr Tyin —Ils s’envoient des noms d’oiseaux.

Mr Tyan —Lesquels ? 

Mr Tyin —Je n’ose pas vous les répéter : incompétent, ignorant, sectaire, métaphysicien… Et même scientiste. Vous voyez le genre. 

Mr Tyan  —Mais à quel propos ?

Mr Tyin—À propos de sciences. 

Mr Tyan — Ah oui. L’énergie atomique, le Big bang, les trous noirs, tout ça… Jecomprends, ce n’est pas simple…

Mr Tyin— Mais non, vous n’y êtes pas. À propos de métaphore. 

Mr Tyan —De métaphore ?  Alors ce n’est pas grave. Il n’y pas mort d’homme.

Mr Tyin  — Non. Mais il y a péril en la demeure Les sociologues ne s’entendent plus avec les philosophes. Mais ils se mettent d’accord pour critiquer les physiciens qui ne veulent pas qu’on vienne fouiller dans leurs laboratoires. Alors évidemment, ces derniers recherchent l’alliance avec les chimistes et les biologistes. 

Mr Tyan — On les comprend. On ne peut pas y laisser entrer n’importe qui. Et puis, dites, quand même, c’est privé les laboratoires : on y fait des analyses.

Mr Tyin — Enfin, y a des laboratoires qui reçoivent un peu d’argent pour faire des recherches qui intéressent tout le monde.

Mr Tyan — Oui, les laboratoires, c’est sérieux. Si au prétexte que ça intéresse tout le monde, tout le monde vient y mettre son grain de sel, il risque d’y avoir du grabuge. Alors c’est la guerre ?

Mr Tyin— C’est la guerre. Encore heureux qu’ils n’utilisent pas les armes que la science permet de produire.

Mr Tyan  — Mais dites-moi, qui est contre qui ? 

Mr Tyin — Allez savoir. Ce ne sont pas des gens simples, les scientifiques. 

Mr Tyan —  Là encore une fois, je suis d’accord avec vous. Je connais un sociologue. Il fait des enquêtes toute la journée. Il interroge les gens pour des statistiques. Et bien à la fin de la journée, il ne veut plus voir personne. Il ne supporte plus les gens. C’est grave pour un sociologue.

Mr Tyin —Moi, c’est pareil.

Mr Tyan  — Quoi c’est pareil ? Vous n’aimez pas les gens ? 

Mr Tyin —Non, ce qui est  pareil, c’est que je connais un philosophe. Si vous saviez, il n’est d’accord avec personne. Il dit que les hommes sont stupides. Il ne veut plus avoir affaire à eux. C’est grave pour un philosophe.

Mr Tyan —Pas étonnant alors qu’ils se fassent la guerre. 

Mr Tyin — Non, mais là, vous n’y êtes pas : sociologue, philosophe et compagnie, c’est pas vraiment des scientifiques.  

Mr Tyan —Si vous leur dites ça : ce sera la guerre. 

Mr Tyin — C’est ce que je me tue à vous dire. Les physiciens le leur ont dit.  Et bien, ça été la guerre. 

Mr Tyan —Cela ne m’étonne pas. 

Mr Tyin —Alors vous, c’est bien simple : rien ne vous étonne. On ne peut pas dire que vous ayez l’esprit scientifique. 

Mr Tyan —Dites, si vous me cherchez, je vous préviens, ça va être la guerre.

8. La carte et le territoire

Mr Tyin passe en courant. Mr Tyan l’arrête.

Mr Tyan —Ah, Monsieur Tyin, je suis content de vous voir. Je voulais vous demander quelque chose.

Mr Tyin —Ce n’est pas le moment. Je suis pressé. Je vais voir ma tante qui est malade. 

Mr Tyin se remet à trotter ; Mr Tyan le suit en continuant la conversation. 

Mr Tyan —Je fais un petit bout de chemin avec vous. Elle habite où votre tante, Mr  Tyin?

Mr Tyin —À l’autre bout de Paris. 

Mr Tyan Allez-y en taxi. — 

Mr Tyin —Ah non ! Surtout pas. la dernière fois, le chauffeur de taxi qui venait d’avoir sa licence, s’est perdu en route. 

Mr Tyan — Il ne pouvait pas regarder sur son plan ? 

Mr Tyin — Si . C’est qu’il a fait, et c’est comme ça qu’il s’est perdu. 

Mr Tyan —Perdu sur le plan ? 

Mr Tyn —Oui sur le plan. 

Mr Tyin —Il n’avait qu’à demander à quelqu’un.

Mr Ton— C’est ce qu’il a fait. Mais lorsqu’il a su dans quelle rue nous étions, il ne savait pas où elle se trouvait sur le plan. Alors vous comprenez, je préfère y aller à pied. Mais au fait : que voulez savoir ? 

Mr Tyan —Et bien, cela a beaucoup à voir avec votre problème. 

Mr Tyin —Quel problème ? 

Mr Tyan —Et bien, celui du plan. 

Mr Tyin Mais ce n’est pas mon problème, c’était celui du chauffeur de taxi. 

Mr Tyan —Cela va devenir le vôtre. J’ai lu dans un livre que la carte n’est pas le territoire. Je voulais vous demander ce que vous en pensez. 

Mr Tyn —Ah non ! Vous n’allez pas vous y mettre vous aussi. En plus avec vos questions idiotes, vous m’avez fait perdre mon chemin. Je ne sais plus où j’en suis. 

Mr Tyan —Vous voulez que je regarde sur mon plan ?

Mr Tyin se met à courir plus vite et laisse Mr Tyan en plan.

9. La technique, c’est pas compliqué

Mr Tyan —Ah, Monsieur Tyin, Dites donc, je vous ai regardé courir hier.

Mr Tyin — Et alors ? 

Mr Tyan — Je voulais vous dire, vous avez une drôle de technique.

Mr Tyin — Vous trouvez ? 

Mr Tyan — Oui. Vous courez les pieds en dedans. 

Mr Tyin—  Ce n’est pas une question de technique.

Mr Tyan — Ah bon !

Mr Tyin — C’est une question d’habitude. Quand j’étais petit, nous habitions à flanc de coteau, Les chemins étaient tracés dans la pente : pour ne pas tomber, nous portions le poids du corps sur la jambe aval. Alors vous comprenez, ça m’est resté. 

Mr Tyan — C’est ce que je dis, c’est une question de technique. C’est compliqué la technique. 

Mr Tyin — Vous pouvez le dire. Moi, je n’ai jamais réussi à nager. Et pourtant, j’ai appris toutes les techniques. 

Mr Tyan — Alors là, encore une fois, vous m’épatez. Vous connaissez les techniques et vous ne savez pas nager. Vous êtes un original. 

Mr Tyin — Et vous un ignorant. Savoir et savoir-faire : ce n’est quand même pas la même chose. 

Mr Tyan — Vous avez raison. C’est ce que me disait mon oncle ; vous savez le fameux savant-bricoleur.

Mr Tyin — Oubliez votre oncle, que je vous explique. J’ai appris toutes les techniques de nage, dans un livre, avec des croquis et des photos. Je me suis entraîné durant des mois, allongé sur mon tabouret. Résultat des courses, quand j’ai voulu essayer à la piscine, j’ai coulé directement au fond. 

Mr Tyan — Moi c’est pareil. 

Mr Tyin —  Avec vous, c’est toujours pareil.

Mr Tyan  — Oui, c’est pareil. J’ai passé deux ans, aux cours du soir, à apprendre la mécanique automobile et j’ai étudié de A à Z le moteur à combustion. Et bien, quand j’ai voulu conduire la voiture que je m’étais achetée, je n’y suis pas arrivé. 

Mr Tyin — Qu’est-ce qui s’est passé ? 

Mr Tyan —  Et bien, quand j’ai voulu mettre le contact, comme je l’avais appris dans mon manuel, elle a calé et je n’ai jamais pu la redémarrer.

Mr Tyin — Mais vous êtes idiot ou quoi. La technique du fonctionnement de l’automobile et celle de la conduite, cela n’a rien à voir. 

Mr Tyan — Arrêtez de me prendre pour un imbécile. Je sais bien. Ce que je veux vous dire c’est que la technique, c’est pas compliqué. Ce qui est compliqué, c’est de la faire fonctionner.  

Mr Tyin — Là vous n’avez pas tort. Depuis  qu’ils ont mis de l’électronique dans les voitures,  je n’y  arrive plus. Avant, je savais régler l’avance et le retard à l’allumage ; maintenant, je n’y comprends plus rien et mon garagiste non plus. 

Mr Tyan — Qu’est-ce que vous faites alors ? 

Mr Tyin —  J’appelle un spécialiste de l’électronique, mais il n’y connaît rien en mécanique. Alors, je lui explique. Vous comprenez, la technique, ce n’est pas compliqué, il suffit juste de savoir. 

Mr Tyan

—  Alors maintenant que vous savez, pour votre technique de course, pensez-y : il faut répartir le poids sur chaque pied. Il faut équilibrer le savoir et le savoir-faire.

10. Un fameux bricoleur

  Mr Tyin croise Mr Tyan ce dernier perdu dans ses pensées ne le voit pas

  Mr Tyin —Bonjour , Mr Tyan. Il y a quelque chose qui ne va pas. 

Mr Tyan — Je reviens de l’enterrement de mon oncle.

Mr Tyin — Triste nouvelle

Mr Tyan —Vous le connaissiez ?

Mr Tyin —Non 

Mr Tyan —Vous ne savez pas ce que vous avez perdu. C’était un fameux bricoleur.

Mr Tyin —J’espère qu’il ne ressemble pas à l’oncle de Monsieur Boris qui était lui plus farfelu que bricoleur.

Mr Tyan —C’était tout comme mon oncle. Il prétendait avoir inventé une machine à rayonnement électromagnétique qui réduit en poudre toutes les armes produites avec des métaux. Il affirmait partout que cela pouvait être un moyen pour faire régner la paix, si on voulait bien s’en servir. Vous croyez que c’est possible ? 

Mr Tyin —Avec la science, tout est possible. 

Mr Tyan — Oui  peut-être, mais mon oncle était un savant un peu spécial. Il n’avait que le bac, et encore avec mention passable en « économie et gestion ». Mais c’était un bricoleur de génie. Il a inventé des tas de trucs sans pouvoir expliquer comment ça marche. 

Mr Tyin — Par exemple ? 

Mr Tyan  —Eh bien une machine à tordre les cuillères à courte distance, sans avoir à faire des passes magnétiques dessus. 

Mr Tyin,  — Mais qui peut s’intéresser à des bêtises pareilles, à part les prestidigitateurs ? 

Mr Tyan —Personne. Justement. C’est le problème.

Mr Tyin — Et à part ça ?

Mr Tyan — Eh bien, mais vous n’allez pas me croire, mais il avait aussi inventé un casque audio-visio qui, disait-il, transforme les fréquences dans l’ultrason en signaux lumineux. Il était persuadé qu’en équipant les chiens d’aveugles et les mal-voyants on pouvait améliorer leurs relations et même traduire en image ce qu’entendent les chiens. 

Mr Tyin —Mais cela ne tient pas debout. Aucune science ne peut expliquer comment ces foutaises peuvent fonctionner. 

Mr Tyan —C’est ce que je me tuais à lui dire. Il prétendait que cela ne prouve rien : la science dit-il est incapable d’expliquer un tas de phénomènes. Qu’en pensez-vous ? 

Mr Tyin —Elle y arrivera un jour. 

Mr Tyan —C’est ce que je lui disais. Savez-vous ce qu’il m’a répondu ? 

Mr Tyin —Non. 

Mr Tyan  — C’est pareil pour mes inventions. Cela marchera un jour. Elles changeront la vie sur terre ». Il m’avait dit aussi qu’il était sur le point de créer la carte génomique individuelle qui permettrait de faire revivre le clone d’une personne décédée. Mais je ne sais pas s’il y est arrivé avant de mourir. J’espère. On verra bien. C’est ça qui me préoccupe.

Mr Tyin — Il ne vous reste plus qu’à retrouver un double de sa fiche génomique.  Il y a peut-être une chance de fabriquer un alias de votre oncle.

  Mr Tyan  s’en va en haussant les épaules.

11. Rien ne va plus ! Tout fout le camp

Mr Tyan— Alors, Mr Tyin ! Comment ça va depuis la dernière fois ?

Mr Tyin —Ne m’en parlez pas, rien ne va plus ! 

Mr Tyan  — Vous avez raison. Tout fout le camp. Le climat se dérègle. Les déchets débordent. Le pétrole pollue l’océan. Les virus se promènent… Je me demande ce qu’on devient dans tout ça. On est embarqué dans le mouvement.

Mr Tyin —vous savez cela ne sert à rien de se plaindre. Il faut reprendre tout ça en main.

Mr Tyan  —Comme vous y allez. Je voudrais vous y voir. Les politiques ne comprennent plus pourquoi leurs promesses ne se réalisent pas. 

Mr Tyin —Comment voulez-vous qu’elles se réalisent, les citoyens n’y croient plus. 

Mr Tyan  —Alors, c’est simple. Il faut laisser faire les savants. 

Mr Tyan—Mais ils ne sont pas d’accord entre eux !

Mr Tyin  —Il suffit d’élire un parlement de savants qui décideront à la majorité.

Mr Tyan —Vous n’y pensez pas. Si on devait voter pour savoir si la terre est ronde ou si l’homme descend du singe, on risquerait d’avoir des surprises. La vérité scientifique ne s’établit pas à la majorité.

Mr Tyin —Mais il ne s’agit pas de science mais de décision politique. Ce n’est pas une question de vérité mais de confiance. Y’a qu’à demander leur avis aux citoyens. 

Mr Tyan — On n’arrête pas de leur demander leur avis. Ils en changent tout le temps. 

Mr Tyin — C’est parce qu’ils n’ont plus confiance dans les promesses des hommes politiques. 

Mr Tyan —Eh bien, il ne faut plus faire de promesses. 

Mr Tyin —Mais alors pourquoi voulez-vous qu’ils votent pour vous ?

Mr Tyan — Mais je ne veux pas qu’ils votent pour moi. Je veux qu’ils votent pour ceux qui savent ce qu’il faut faire pour que ça aille mieux.

Mr Tyin —Eh bien c’est ce que je vous dis. Il suffit de demander aux savants. Ils savent eux : ils sont payés pour ça. 

Mr Tyan — Si mal.  Au prix où ils sont payés, ils ne doivent pas savoir grand-chose. Non je crois qu’il faut demander à ceux qui ont réussi dans la vie et qui ont des responsabilités économiques. Eux au moins, ils risquent de ne pas beaucoup se tromper.Non classé

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